jeudi 27 janvier 2011

La maison du bonheur

Quand tu m'as quitté, sans raisons, tu m'as fait comprendre inconsciemment que tu préférais la solitude à moi même. Une autre fille j'aurais pu admettre qu'elle fut meilleure, mieux faite que moi, mais la solitude? Pour moi qui ne la connaissais que de loin, c'était le vide, c'était tout ce que chacun sur terre fuyait. Je m'y suis alors aussi plongée, pour comprendre et puis parce que j'étais ce genre de personne qui calquait sa personnalité sur celle de ces autres qu'elle aime. Comme je l'avais imaginé la solitude était affreuse et douloureuse. Le manque de ta présence, puis plus tard de n'importe quelle présence, était insupportable. Je savais que la solitude n'était pas la même selon si on la choisissait ou si on la subissait. J'ai essayé de la choisir. Pensant à toi qui vivait au même instant les mêmes affres que moi. Ainsi, je me sentais proche de toi, je faisais des rêves où nous étions si intimes, qu'au réveil il me semblait que nous étions réconciliés, alors que nous ne nous étions jamais reparlé. Je ne sais pas si j'ai réussi à être vraiment seule, avec toutes ses pensées, physiquement, en tout cas, je l'étais. Je m'étais aussi inscrite, sous un faux nom, sur le Réseau et suivais tes mises à jour. J'achetais les même livres que toi, je les comprenais parfois mais en général ils restaient entassés sur la pile des livres à lire. Je regardais les même films que toi, avais les mêmes intérêts, opinions que toi. Avec toutes ces pièces en main j'essayais de te saisir, de t'assimiler et surtout de comprendre enfin ce qu'il y avait dans la solitude, dans ta solitude, pour avoir effacé mon existence.
Finalement, au bout de quelques années, j'ai déchiffré tout les livres et aimé ces films compliqués, j'avais une solide culture et je pensais. Comme j'ignorais souvent quel était ton avis sur ça ou ça (le Réseau ne disait pas tout), je réfléchissais par moi même, certes en imaginant ce que toi tu aurais répondu mais le raisonnement était comme le mien. Oui, j'étais devenue une personne plus complexe, intelligente, lettrée et parfois même, j'avais les idées noires, je me désespérais du monde, puisque cela allait apparemment de paire. Naturellement si, au début, j'avais fait tout ça par amour, tu étais devenu, avec le temps et la réflexion, un simple compagnon virtuel, une figure abstraite qui, de ce fait, contentait tout les désirs et besoins sociaux qui me restaient. Et puis c'est à peu près à ce moment là que sur le Réseau tu t'es mis "en couple". Cela m'a fait un choc, nous avions pourtant une telle aversion du couple, une telle peine. Mon opinion n'avait pas changée. Sur ta photo vous êtes apparus à deux. Puis trois. Tes livres, tes films, tes intérêts, tes opinions n'étaient plus que "familiales", aseptisés. Tu avais donc choisi et préféré "ça" à la solitude que tu avais déjà préféré à moi? Cette femme je l'ai détesté, cette femme souriante, un peu bête et simple, douce, drôle, chaleureuse. Je me souvins alors que je n'étais pas si différente d'elle avant. Pendant deux ans nous avions été heureux, nous avions vécu à et pour deux, nous avions atteint cette possibilité de nous oublier nous même, d'oublier nos défauts et notre douleur, pour laisser ainsi à l'autre la responsabilité de notre bonheur. Aussi deux êtres laids et inutiles formaient ensemble cette rassurante et merveilleuse "maison" où chacun s'enferme. Peut être avais tu ressenti alors la peur qui m'étreignait en y pensant, la peur de rester figé, la peur d'évoluer mal, la peur de ne plus rien faire de grand seul ou -même si c'est autre chose- celle de tout perdre. Je compris alors, je compris tout, je compris qui tu étais, à quoi tu avais aspiré, je le compris au moment même où cette personne cessa d'exister. Je fus comme vidée de toute raison et la solitude se planta de sa morsure la plus profonde, sans plus jamais me quitter.

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