mercredi 16 septembre 2009

A wolf among the lions.

Louise part le matin au travail à 8h moins le quart précisément, elle ferme sa porte à double tour, marche cent mètres pour prendre le bus 51 et arrive au 8, rue Degrey avec, chaque fois, cinq minutes de retard, ce qui l'embête beaucoup, mais elle regagne toujours ces cinq minutes en montant par l'escalier, les huit étages à toute vitesse, pendant que l'ascenseur, lui, s'arrête à tout les étages.
Son travail au huitième étage du 8, rue Degrey est rébarbatif et ennuyeux mais c'est, comme elle dit "une bonne planque". Elle possède son bureau, n'a à parler à personne et gère son temps comme il lui plait. Et puis surtout, elle a la plus belle vue de tout l'immeuble: le ciel. Finalement, le ciel c'est tout ce qui changeait, chaque jour, jamais un nuage pareil et des teintes différentes, parfois complètement folles. De son étage c'est tout ce qui semblait beau. Cet immeuble, comme les autres, avait cet aspect sale, qui ne s'arrêtait pas qu'à la façade. Tout était en fer, froid et sec, le sol était recouvert d'une moquette grise, devenue noire là où les gens marchaient le plus souvent. Là où Louise travaillait le gris était presque celui d'origine. Elle en était fière. Outre les lieux, les meubles, les vitres crasseuses et la monotonie des couloirs, les gens qui y travaillaient étaient tout aussi ternes. Louise ne voulait pas penser qu'ils étaient laids, car Louise n'aimait pas les jugements de valeur, mais les faits étaient là: ils se ressemblaient tous pour elle. Des pantalons gris, des chemises sans formes, des tailleurs sinistres, s'il y avait parfois de la couleur, elle paraissait vulgaire. Des gens comme vous en croisez partout dans les rues, remplis de surcroit, de sentiments humains totalement terre à terre. Banal. Les hommes lorgnaient sur les femmes, les femmes lorgnaient sur les hommes et papotaient derrière leurs dos. Et puis l'argent et les sorties. Très inintéressant. Commun. Louise, elle, était quelqu'un de très exigeant, bien sûr, au travail elle rendait toujours des dossiers impeccables, mais ce trait de caractère se retrouvait partout chez elle. Louise n'aimait pas grand chose. Elle ne dépensait jamais de folles sommes en shopping car jamais une robe ou un manteau ne la satisfaisait parfaitement. Elle ne flirtait pas avec les hommes, car, non seulement ça ne l'intéressait pas, mais c'était toujours très décevant. Mais si Louise peut sembler froide, il n'en est rien, car même si elle ne trouve jamais quelque chose ou quelqu'un qui la comble totalement, elle ne les dénigre pas pour autant, elle accepte les gens tel qu'ils sont et tout le monde l'aime beaucoup. Mais il est vrai que personne ne l'aime tout court. Et si quelqu'un essaye, les exigences de Louise et ce qu'elle attend des autres semble si haut, qu'il abandonne. Dans la tête de Louise tout est comme un film, tout semble prédestiné, il n'y a pas de règle du jeu, c'est comme un ciel, avec des nuages tout les jours différents. Pour chaque homme qu'elle rencontre elle imagine que c'est "lui", elle croit qu'il sera enfin différent, sans mensonges et sans doutes, qu'il aura des collections bizarres d'animaux, qu'il lui laissera des post it mystérieux entre les pages de ses livres, qu'il l'emmènera dans les bois pour voir le soleil se lever blottie dans sa veste en cuir, qu'ils danseront sous la pluie car on s'en fout d'être mouillé, ça sèche finalement, qu'ils parleront toute la nuit sur des sujets à priori banal avec force d'arguments et d'envolées lyriques, en oubliant qu'il faut dormir avant que le soleil ne se lève, elle croit aussi que si elle le regarde dans les yeux elle saura lui transmettre tout ce qu'elle ressent et qu'ils n'auront pas besoin de parler pour se comprendre. Oui, Louise croit à des milliers de choses qu'elle s'est tissé contre la réalité. A des choses si belles qu'elle ne les retrouve pas en ouvrant les yeux. Tout semble trop terne et restreint pour son imagination. Et tout ces gens dehors qui n'aspirent à rien, qui expire pour rien. Ils ne lèvent jamais la tête vers elle quand elle les observe par la fenêtre. Ils sont si loin d'elle, comme si elle était un loup parmi les lions. Une ville rempli de lions, faite et pensée pour les lions et non pour un loup.
Louise sort de son travail à 20h précisément, marche cent mètres et prend le bus 51, laissant derrière elle la meute d'hommes et de femmes qui rient le plus fort possible. Elle rentre en regardant défiler le paysage derrière les grandes vitres du bus 51. Parfois un léger détail attire son attention, quelque chose qui n'était pas là avant, quelque chose d'insolite, le regard d'un homme fatigué, la couleur du ciel ce soir, les branches qui remuent et font sur les visages tristes des ombres qui les rendent beaux. Louise alors sourit. Louise est heureuse ainsi.

7 commentaires:

CENTiNEX a dit…

Je ne sait pas si ce texte est de toi mais de la a dire qu'il parle de toi il n'y a qu'un pas que je ne ferait pas.

Kyuuketsu a dit…

Je passe souvent sur ton blog, et j'aime faire un bout de chemin dans ton monde. Cette fois, je souhaitais juste te dire que tes écrits sont très beaux, et je trouve celui-ci particulièrement touchant. Ta façon d'écrire a presque quelque chose de musical, c'est une histoire que j'aurais aimé entendre chuchotée à mon oreille. Bravo.

vincent a dit…

Alors...si elle est heureuse ainsi surtout ne la dérangeons pas

Gothikno a dit…

C'est sur que si Louise est heureuse de la sorte, ne changeons pas cela!

Ce texte est vraiment magnifique! Pour moi, je trouve que ça faisait longtemps que tu n'avais pas écrit comme ça! Quel plaisir pour les yeux et l'esprit!

<3

Anonyme a dit…

you should watch "Tank Fish"
Mia is a doe-wolf like you!

Anonyme a dit…

Dans la réalité les hommes n'ont pas le droit à l'innocence
Les femmes non plus d'ailleurs
>Mais qui aujourd'hui a envie de la réalité?

vincent a dit…

je suis content de te voir déserter ton blog..je pense que c'est bon signe :)
http://dandysme.eu/2008/03/16/le-lion-veritable/