samedi 11 septembre 2010

Vincent

basé sur le mythe des Tulpas

En début d'année, on a du me transplanter un nouveau cœur. J'avais longtemps espéré ne pas en arriver là, imaginer avoir à l'intérieur de moi, le cœur d'une personne qui était morte malgré lui, me terrorisait, mais je n'eus pas le choix.
Bien que je me sois remise et que je ne pouvais qu'aller bien, de drôles de pensées m'assaillirent. J'imaginais à quel genre de personne mon nouveau cœur avait pu appartenir. Un homme, j'en étais persuadée, je l'imaginais avoir de longs cheveux et être mort dans un accident de moto. Je l'appelais Vincent. Au début, je ressentais nettement la différence entre mon cœur et celui du présumé Vincent, ou peut être que j'imaginais ça aussi, que les cœurs étaient tous pareil, pourtant il me semblait que le bruit était différent. Quand je me mettais sous les couettes avec mon stéthoscope, je m'amusais à l'écouter, c'était un peu comme s'il me parlait. Alors je racontais à Vincent ma journée au bureau, ma solitude et les appels incessants de ma mère. Je trouvais ça merveilleux finalement. Une nouvelle chance, une nouvelle vie, un autre cœur. Et puis, ma mère est morte. Pour elle, pas de renouveau. Juste la fin. J'ai passé des nuits à pleurer, à étouffer. Ce fut un de ces soirs là qu'il est apparu pour la première fois, du moins que j'ai ressenti sa présence. Une ombre au coin de la pièce qui restait plantée là. Je me suis concentrée, mais ça avait alors disparu. Le soir d'après, l'ombre est réapparu, j'ai cru discerner cette fois de longs cheveux et ça s'est dissipé de nouveau. J'ai pensé un moment que cela pouvait être le fantôme de ma mère, mais jamais elle n'avait eu les cheveux longs. Quelques jours plus tard, alors que je me démaquillais dans la salle de bain, j'ai entendu des bruits dans ma chambre. Des cognements. Mon cœur s'est serré. Il y avait un homme assis sur mon lit, regardant le sol. "Qui êtes vous?" Il avait alors levé ses yeux brillants "Eh bien c'est moi Pauline, c'est moi, Vincent." Je me suis pétrifiée. Était-ce Vincent, le Vincent de mon cœur, avais-je eu raison sur son identité, était ce son fantôme? Je me suis approchée pour le toucher m'attendant à saisir un vide glacé mais ce fut sur un corps bien réel que mes doigts s'arrêtèrent. "Il ne faut pas que tu ais peur Pauline, il ne faut plus, je suis là pour toi." Et j'ai ressenti un bonheur immense. Je ne comprenais pas vraiment comment et pourquoi il était là, mais je ne voulais pas savoir, je souhaitais juste qu'il reste là à me tenir la main et à écouter notre cœur, pour toujours. Toutes les nuits, quand je rentrais, il était là, il disait les mots que je voulais entendre, comme s'il était dans ma tête, un bonheur comme ça, j'osais à peine y croire. Étrangement beaucoup d'autres choses se sont arrangées en dehors, et je me suis fait une amie au travail. Je passais beaucoup de temps avec elle, car je trouvais ça fabuleux qu'une autre personne puisse apprécier ma compagnie. A son contact, j'ai eu l'impression de commencer à me connaitre, à vivre par moi même. C'est à partir de là que Vincent a commencé à changer. Il devenait taciturne, avait perdu beaucoup de poids. Ses yeux n'étaient plus aussi doux. Et moi de mon côté j'étais de plus en plus faible. Parfois je ne voulais pas rentrer chez moi le voir et entendre sa voix grinçante. Une nuit je me suis réveillée en sursaut car mon cœur s'était serré brutalement, et il était là, planté au milieu de la pièce, la poitrine ensanglantée. "Regardes ce que tu as fait" Du sang avait alors giclé un peu partout sur les murs, il semblait se métamorphoser. "Arrêtes! Arrêtes ça!" "Tu perds le contrôle ma chère Pauline, bientôt tu n'y pourras plus rien". J'ai fermé les yeux, il fallait qu'il arrête, j'ai supplié mon cœur, j'ai imaginé Vincent enfermé dans une boite. J'entendais des tas de bruits atroces mais je devais rester concentrée, il fallait que j'imagine la boite se remplir de vide encore et encore. Vincent n'avait jamais existé.


Mr Ombre - 2007

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Belle photo... encore. Et beau texte. J'apprécie beaucoup votre style. N'arrêtez pas, svp, de me faire rêver...