vendredi 20 mai 2011

L'eau à la bouche


John
Professeur de sport au lycée X, j'étais également pour la première fois, professeur principal d'une classe de première. J'étais très excité et anxieux de ces nouvelles responsabilités, mais j'étais prêt.
Il y avait dans cette classe différents types d'élèves, de l'intello au caïd de base, mais il y avait surtout elle. La première fois que je l'ai vu je ne l'ai pas remarqué. Elle était ce genre de personne qui passait inaperçu, qui était là sans l'être. Elle participait mollement, ne parlait jamais, faisait les efforts minimums et surtout manquait souvent les cours. Tout le contraire de ce que j'aimais voir chez mes élèves.
Après plusieurs semaines d'absence je fus obligé d'aller lui demander quelques explications et ce fut sans doute la première fois où je posai vraiment les yeux sur elle. Quelque chose en elle me mit mal à l'aise, alors je compris pourquoi je ne l'avais pas remarqué avant, ni moi ni les autres. Je ne déterminais pourtant pas la source de ce malaise et me mis, malgré moi, à l'observer. Mais plus je l'observais et plus j'avais l'impression de découvrir quelque chose de rare que personne d'autre ne voyait, je n'aurais cependant pas sus dire quoi. Peu à peu, la première chose que je faisais quand la classe arrivait, c'était de vérifier sa présence et quand elle n'était pas là, je me surprenais même à me demander ce qu'elle faisait, si elle allait bien.
Puis le trimestre de piscine débuta. Il y avait beaucoup d'absences à ces cours là mais je fus surpris de la voir le premier jour. La piscine était à deux rues de l'école, les élèves s'y rendirent en un rang plus ou moins formé et je fermais la marche. Elle était derrière, seule. Je l'observais un instant puis marchais à sa hauteur. Je devais faire de gros efforts pour garder une démarche convenable, j'étais comme paralysé, je ne savais pas quoi dire, moi qui avait pourtant le contact facile avec les élèves. Je lançais furtivement un regard vers elle, le sien était rivé au sol et ses poings serrés, j'avais l'impression qu'elle pouvait se briser à tout moment. Et puis l'instant d'après elle porta son regard en l'air, semblait lointaine, voilà, nous n'étions plus sur la même planète.
Une fois à la piscine, j'expliquai rapidement aux élèves comment la séance allait se dérouler puis les envoyai se changer. Les garçons étaient surexcités, ils parlaient forts et se lançaient de grosses vannes en n'osant à peine jeter un œil aux filles qui ricanaient. J'allai me changer moi aussi, dans un autre vestiaire. A mon retour elle était devant les cabines.
"Tu ne te changes pas? dis-je
- J'ai oublié mon maillot...
- Ah ça arrive souvent, je vais demander à l’accueil s'ils ont une petite taille."
J'allai récupérer un maillot et lui prêtai, elle alla se changer tandis que les autres se rendaient déjà aux bassins. Quand elle sortit je ne la reconnue pas tout de suite, le maillot était bien trop grand pour sa frêle carrure, elle nageait littéralement dedans. Néanmoins, il laissait deviner l’esquisse de son corps, la bride qui tombait sans cesse de son épaule me troublait particulièrement.
"Bon cela fera l'affaire pour aujourd'hui."
Je me dirigeai vers les bassins quand elle me retint par le bras. Sa main était froide.
"Monsieur, si j'ai oublié mon maillot c'est surtout parce que je ne sais pas nager" avoua-t-elle sans oser me regarder. Je lui relevai le menton.
"Eh bien, ne t'en fais pas, je vais m'occuper de toi, je ne vais pas te faire faire les mêmes choses qu'aux autres!"
Elle me sourit pour la première fois.
Je partis enfin aux bassins et tentai de donner quelques exercices aux élèves mais ils m’exaspéraient soudain, ils ne faisaient que chahuter, garçons et filles bien séparés. Je du évaluer le niveau de chacun, ça me sembla interminable. Eli m'attendait à l'autre bout de la piscine sans être encore entrée dans l'eau. Enfin les élèves firent leurs longueurs et je pu la rejoindre.
"Alors tu ne t'es pas encore mouillée?
- J'ai peur.
- Allons, tu n'es plus une enfant, nous allons y aller doucement. Dans cette partie du bassin tu as pied, l'eau n'ira pas plus haut que ta poitrine, tu n'as rien à craindre!"
Je la pris par la taille et l'aidai à rentrer dans l'eau. Elle était si fine. Je lui demandai de faire quelques pas pour se familiariser à ce nouvel environnement, je la voyais trembler mais elle avançait. J'essayais de lui faire mettre la tête sous l'eau mais cela la paniquait tant que je n’insistai pas. Plus loin, les autres élèves commençaient à plonger.
"Ça semble facile pour eux, lança-t-elle
- C'est parce qu'ils ont appris tout petit.
- C'est sans doute ça..."
Je regardai à mon tour les élèves et une vague de mélancolie m'envahit, les garçons embêtaient les filles et faisaient n'importe quoi. J'enviais leurs âges et cette certitude de tout savoir alors qu'ils ne savent rien, que tout est une première fois, une découverte. Je sentis soudain le corps d'Eli frôler le mien, je ne pus m’empêcher de faire un pas vers elle pour le sentir contre moi quelques instants. Il m'apaisa.
La semaine suivante elle ne vint pas, je me sentis un peu déçu et vaguement en colère car j'avais réfléchit à plein d'exercices pour elle. J'avais toutefois récupéré son téléphone au secrétariat et hésitais à l'appeler. Après tout j'étais en droit, en tant que professeur principal, de savoir pourquoi elle avait manqué mon cours.
C'est elle qui me répondit au bout de trois sonneries.
"Bonjour Eli, c'est monsieur X, tu n'es pas venue en cours aujourd'hui?
- Je n'avais pas envie
- Comme tu es étrange, laissais-je échapper, toi plus qu'un autre a besoin d'apprendre pour réussir le trimestre!
- ...
- Je te propose de rattraper le cours jeudi à 17h, je finirai tout juste avec une autre classe et pourrai t'entrainer jusqu’à la fermeture.
- ...D'accord." Et elle raccrocha.
Le jeudi vint et je fus préoccupé toute la journée ne sachant si oui ou non elle allait venir. C'était évident que si elle n'apprenait pas vite à nager, elle n'aurait pas une bonne note et je ne voulais pas qu'un de mes élèves soit pénalisé. Finalement elle se montra à 17h30, dans un joli maillot (mais je regrettais les bâillements attendrissants de l’autre), la piscine s'était vidée et on n'entendait que le bruit de nos corps contre l'eau. Je lui appris les mouvements adaptés pour être en osmose avec l'eau, à respirer, à tendre son corps et à le relâcher au bon moment. Elle s'appliquait aux exercices mais refusait encore de mettre la tête sous l'eau. Tout cela nous épuisa rapidement. Une fois sortis je lui proposai de la raccompagner en voiture, elle trouva ça étrange mais je lui répondis sereinement que c'était tout à fait normal et moins dangereux pour elle. Cependant je ne pus dire un mot durant le trajet, de nouveau mal à l'aise. Arrivé devant chez elle je me sentis obligé de mettre les choses au clair.
"Si je prends de mon temps c'est pour t'aider, pour que tu puisses avoir les mêmes chances que les autres, c'est tout.
- Je sais, répondit-elle sans entrain
- Bien, on se voit mardi?
- Et si je ne viens pas?
- Pourquoi ça?
- Je déteste la piscine!
- Ah...
- Enfin... C'est moins pire quand je ne suis qu'avec vous, avec les autres je ne me sens pas à ma place.
- Eh bien... Je ne peux évidemment pas te forcer à venir mais disons que, si tu viens le jeudi soir, comme aujourd'hui, et qu'à la fin tu passes l'examen, je n'aurais pas grand chose à dire.
- D'accord."
Ainsi ce fut conclu, j'étais très heureux de pouvoir être utile à un de mes élèves.
Durant la semaine j’espérais la voir dans la cour ou les couloirs, car j'aimais croiser son regard en sachant que nous partagions un semblant de secret que tous ignorait et qui n'appartenait qu'à nous, mais elle était rarement là. Je ne pus m’empêcher de lui en parler le jeudi suivant en fin de séance.
"Ta prof m'a dit que tu avais manqué deux jours!
- Je n'aime pas l'école.
- Toi, tu n'aimes pas grand chose..."
Cette remarque la fâcha et elle sortit de l'eau, je la suivis machinalement jusqu'aux douches. J'observai un instant les gouttes ruisseler le long de son corps. Elle comprit mon regard, mieux que moi à vrai dire, et fit glisser le haut de son maillot en me jetant de ses yeux, soudain hautains, comme un défi. Je m'approchai d'elle, le pommeau de douche se remit à couler. De longues et lourdes secondes passèrent où je ne pouvais détacher mon regard du sien. Nous étions sur une autre planète, la sienne. Je lui remontai alors son maillot et restai encore un instant les mains posées sur ses épaules. J’eus soudain l'impression qu'elle pleurait, je fis glisser ma main sur sa joue, elle ferma les yeux et embrassa ma paume passionnément. Puis la douche cessa. Privé de ce voile d'eau qui me permettait d'oublier l'étrangeté de la situation, je la lâchai à contre cœur et elle fuit dans les vestiaires. Dehors l'air glacial me détendit, je me sentis simplement heureux. Elle me rejoignit et je lui proposai d'aller boire un verre, ensemble, pas longtemps, pour parler de l'école. Elle accepta, ne pouvant dissimuler un large sourire qui me fit chaud au coeur. Mais une fois là bas elle s’éteint et le regard suspicieux de la serveuse me pesa, pour l'oublier je bu. Elle, ne buvait que du bout des lèvres en regardant tristement par la fenêtre. Pour l'oublier, je bu, encore. A moitié saoule, j'essayais d'attirer son attention, de la comprendre, de revenir sur sa planète près d'elle. Mais elle était loin et je ne savais plus quoi faire pour arranger tout ça. Un moment elle partit aux toilettes et je la suivis. Comme il n'y avait personne, je la saisis fermement.
"Suis je un fou pour toi? Suis-je comme les autres?
- Lâchez moi!
- Je ne peux pas, je ne peux pas te... lâcher." Ayant perdu à cet instant la raison, je m'approchai pour l'embrasser, comme une délivrance mes lèvres touchèrent enfin les siennes, mais elle me repoussa violemment.
"Je ne veux pas! Je déteste les hommes, ne venez pas tout gâcher... Ramenez moi chez moi."
Je l'ai ramenée sans un mot, sans un au revoir. Et puis j'ai foncé. J'étais prêt à attendre.

Eli
Cette matinée avait passée lentement, les cours m’assommant de mots inutiles. Je n'arrêtais pas de penser à lui. J'avais tellement honte de mon attitude de la veille. Je m'en voulais de ce qui s'était passé à la piscine mais aussi de l'avoir repoussé, ce qui n'était pas logique. De toute façon, depuis le début d'année, depuis que je l'avais rencontré, je ne reconnaissais plus mes réactions. A ses côtés je passais des sentiments les plus doux au plus violent dégout. Je ne pouvais supporter son regard sur moi et en même temps quand il ne me regardait plus c'était comme si le vide m'aspirait. Si seulement il pouvait me laisser en paix comme tout les autres.
A l'heure de la pause, le proviseur fit irruption dans la salle de classe, il gigotait et transpirait, l'air grave.
"Les enfants, dit-il, j'ai une horrible nouvelle à vous annoncer. Votre professeur de sport monsieur X est mort ce matin à l’hôpital des suites d'un accident de voiture."
Le temps s'arrêta. Un torrent de larmes monta en moi mais je ne pus en verser aucune. Le proviseur continuait son monologue mais je n’écoutais plus. J'ai rangé mes affaires et me suis levée, le directeur m'a interpellé. Je l'ai regardé comme s'il ignorait tout de la vie et de sa morsure et prise d'un soudain aplomb je lui ai juste répondu:
"Laches moi"
 J'ai quitté la salle en laissant le directeur crier et les élèves chuchoter. La piscine n'était qu'à deux rues de l'école. Je regardais le visage de chaque personne que je croisais, prise soudain d'une triste affection pour chacune d'entre elles. A midi la piscine était vide, je me suis déshabillée et comme je n'avais pas de maillot de bain je suis allé nue jusqu'au plongeoir, j'ai grimpé et ai tourné le dos au bassin. J'ai entendu un appel au loin mais je ne sais plus. J'ai profité de cet instant tout en regardant les fissures du plafond avant de me laisser tomber. J'avais eu envie de lui, à chaque seconde, d'une envie incompréhensible. Le choc avec la surface de l'eau fut déchirant puis, peu à peu, j'ai coulé, laissant l'eau me pénétrer pour me noyer dans cette douloureuse extase.




2 commentaires:

pierre le cornec a dit…

Another belle story of desire and death ... Did you base it on "La Noyee", or does that song simply fit the story?

Féebrile a dit…

Aucun rapport. But if it was a movie it would be the final OST XD!