mercredi 20 mai 2009

Amour brûlant

Elle alluma son briquet, la flamme tremblant sous le vent me fit des frissons dans tout le corps. Elle venait de rompre avec moi et comme à chaque fois qu'elle ne savait plus quoi faire de ses mots et de ses mains, elle avait allumé une cigarette. J'eus cette peur qu'elle brule de l'intérieur, que sa bouche devienne noire au contact de la fumée. Pendant ces quelques minutes il me sembla que je me vidais de mon énergie, elle me regarda blêmir à chaque bouffée, presque amusée. La fumée, la flamme du briquet, le son du papier qui se consume me plongea dans des souvenirs que je tenta de refouler. En vain. Je lui dit à brûle-pourpoint:
"A 16 ans j'ai mis le feu à mon école. Une nuit, quand tout le monde fut parti, j'ai escaladé la grille, cassé une vitre et je suis allé dans la salle qui servait de bibliothèque. Je fis voler un peu d'essence sur les couvertures des livres, les chaises en bois et j'ai tout allumé avec le briquet de feu ma mère. Je pensais que ce serait un petit incendie qui détruirait juste les livres mais je me suis vite fait entourer par les flammes. Mes vêtements avaient reçu de l'essence et par peur de bruler vif je me suis totalement déshabillé. Nu, caché sous une table, pendant que tout brulait, beaucoup de sentiments contradictoires m'ont assailli. Mais ce fut la première et seule fois que je fus heureux dans ces lieux.
Ce soir là, un pompier m'a sauvé alors que j'avais perdu connaissance. Et à partir de là, plus jamais je ne pus aller ni approcher de cette école, et des autres d'ailleurs."
"Pourquoi as tu fais ça?" me demanda t'elle, avant de se décider à partir rejoindre son amant.
"C'était une punition. Il faut savoir que mes années d'école furent terribles. Dès le premier jour, à cause de mes grosses lunettes et le fait que je ne connaissais personne je fus désigné souffre-douleur. Moche, binoclard, cadavre, pinnochio, monstre, sans amis fixe, les enfants redoublaient d'imagination chaque jour pour me trouver un joli surnom. La vérité sort de la bouche des enfants dit-on. Je franchissais (le plus tard possible) la porte de l'établissement me demandant ce qu'il allait se passer aujourd'hui. Est ce qu'on volerait ma trousse, est ce qu'on me battrait, est ce que les filles changeraient de place à ma venue? Je redoutais surtout les récréations. Quinze horribles minutes à me terrer seul dans un coin de la cour, à me cacher dans les toilettes. Et puis un jour j'ai poussé la porte de la salle bibliothèque. Elle était quasiment vide à part quelques intellos. Le contraste avec tout les enfants entassés dans la cour était saisissant. Je fis semblant de lire des livres, puis je les ai lu vraiment. J'ai lu à chaque récréation, tout les livres, même ceux qui ne semblait pas m'intéresser. En cours, je brûlais d'impatience que la cloche sonne, pour pouvoir y descendre. Parfois j'attendais que la surveillante ne regarde plus pour glisser mes préférés sous mon manteau. J'aurais pu les emprunter mais je ne voulais pas les rendre. Un jour il y a eu cette bande que je détestais (un des garçons voulait toujours me toucher le pénis pour voir si j'étais une "tapette"), qui est venue dans le CDI car forcé, par leur professeur, de prendre un livre. Ils ont pris celui que je tenais en main et ont rigolé bruyamment. La surveillante n'a rien dit. J'ai ressenti alors une telle haine. Tout ces livres, mes livres, sali par leurs bêtises. Et s'ils revenaient? S'ils prenaient d'autres livres? Si leurs doigts gras traçaient des auréoles un peu partout sur les pages blanches. Ils n'avaient pas le droit d'envahir le seul endroit où je me sentais en paix, où personne ne m'humiliait et où j'en apprenais bien plus que dans les salles du haut.
Voilà pourquoi. Un acte égoïste et désespéré. Ce souvenir me hante et ce n'est pas parceque j'en ai honte. Mais parceque j'aimerais encore très souvent faire disparaitre tout ce qu'on me prend, pour que personne d'autre ne l'ai. Comme toi à cet instant." Me regardant droit dans les yeux le souffle court, elle lâcha sa cigarette qui, brûlée jusqu'au filtre, s'écrasa au sol en une multitude de points rouges.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

l'impression de sortir de 10 matchs de boxe

j'espère qu'il a pu se sortir de tout ça sinon bonjour l'enfer

Anne a dit…

C'est superbe! Tu as vraiment beaucoup de talent.
Et une des dernière phrase:
''Un acte ....à cet instant.''
Je pense, résume bien ta vie comme tu veux/peux le montrer à mon avis..

En tout cas c'est magnifique! Bravo!

<3